Bien sûr, il y avait la chamelle blanche sacrée du prophète. Puis la chamelle mythique de Okbaa ibn Nafâa qui s’arrêta là où allait jaillir de l’eau et s’ériger la ville de Kairouan. Il y avait aussi la chamelle noire des émirs dont on dit que le lait est aphrodisiaque. Mais aucun de ces camélidés de l’Histoire n’a jamais provoqué autant de remous, soulevé autant de passions que Fathia, la chamelle de la Marsa.
Longtemps confinée dans son modeste rôle d’actionneur de la noria du Saf-Saf, curiosité placide pour les enfants et les touristes, la voilà qui, sur ses vieux jours, et certainement à son corps défendant, déclenche une des plus virulentes polémiques qu’ait vécues la bonne ville de la Marsa.
Tout partait pourtant de bons sentiments à l’origine. Mais ne dit- on pas que l’enfer est pavé de bons sentiments ?
Un célèbre sculpteur tunisien installé au Maroc depuis des décennies, le talentueux Sahbi Chtioui, plusieurs fois exposé en Tunisie, souhaita se rappeler aux bons souvenirs de ses concitoyens, et faire un geste pour son pays natal. Peut- être pour sa ville natale, mais l’histoire ne dit pas si l’artiste est originaire de la Marsa. Peu importe, c’est sur la jolie cité balnéaire qu’il jeta son dévolu, et décida d’offrir ce qui, pour lui, la symbolisait le mieux : une sculpture monumentale de Fathia la chamelle légendaire du Saf-Saf.
Et pour mieux enfoncer le clou, au regard de ses détracteurs peu sensibles à sa conception de l’art, encore que cette malheureuse chamelle ne soit pas ce que l’artiste ait fait de mieux, il l’offrit pour célébrer l’anniversaire de l’Avenir de la Marsa, le club emblématique de la ville.
Que n’avait-il fait ! Tout simplement réussir à liguer contre lui ceux qui n’aimaient pas le foot, ceux qui n’aimaient pas l’art, ceux qui aimaient l’art mais pas l’interprétation qu’il en avait faite, et surtout, surtout ceux qui aimaient la Marsa et refusaient l’amalgame réducteur de la ville à un club sportif aussi prestigieux puisse-t-il être.
On avait longtemps hésité sur l’emplacement à offrir à la dite chamelle : le rond-point du TGM choisi en un premier temps semblait trop provocateur. On opta pour celui de l’ambassade de France, moins passant peut-être. Et on relégua joyeusement sur la plage le superbe poisson de Imrane Ouanès prévu pour la place.
Sculpture animalière pour sculpture animalière, on privilégia la chamelle au poisson pourtant plus fédérateur.
Aujourd’hui, Fathia offre son long cou aux critiques ou à l’admiration de chacun, indifférente aux remous qu’elle a pu provoquer.